Si l’on veut éviter une nouvelle pandémie, similaire à celle de la COVID-19, il est indispensable que les modalités de financement de la recherche et du développement s’inscrivent dans une approche holistique et intersectorielle, intégrée aux Objectifs de Développement Durable, et étroitement liée à la lutte contre le changement climatique. Une meilleure coordination entre les bailleurs internationaux, une flexibilité accrue dans les modalités de financement et une prise de conscience des avantages de la prévention des risques de maladies versus leur traitement en réaction sont indispensables.
Tribune publiée dans le journal Le Monde le 27 juin 2023 : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/06/22/pandemie-financer-les-actions-de-prevention-est-necessaire-pour-eviter-les-prochaines-epidemies-et-limiter-les-risques-climatiques_6178682_1650684.html
Qu’avons-nous appris de la crise de la COVID-19 ? En à peine quelques semaines, un virus d’origine animale s’est répandu à travers le monde, créant une pandémie d’une ampleur sans précédent. Un tel événement a mal - ou peu - été anticipé par les décideurs publics et que sa gestion a connu quelques ratés voir de vraies carences dans certains pays. Ses impacts sanitaires, économiques et sociaux sont en cours d’évaluation. Le 31 mai 2023, l’OMS a annoncé un recensement de plus de 767 millions de cas confirmés de COVID-19, dont au moins 6,9 millions de décès [1] signalés. Au niveau mondial jusqu'en 2024, cette pandémie aurait causé une perte de production cumulées de 13,8 mille milliards dollars US[2]. Il faudra sans doute encore plusieurs années pour croiser les bilans et connaître les conséquences chiffrées de la crise. « Saisissez-vous du présent, vous dépendrez moins de l’avenir ». Cette devise de Sénèque que l’on veut accrocher au panthéon de notre mémoire reste trop souvent parole oubliée.
Ce que nous savons, de façon certaine, c’est que le coût de la prévention est au moins 100 fois inférieur aux pertes générées par une pandémie[3]. Investir dans la prévention c’est également contribuer à la résilience des systèmes de santé ; c’est, enfin, réduire le coût de la réponse aux événements infectieux de grande ampleur. Jusqu’à récemment, les stratégies de préparation aux pandémies étaient conçues essentiellement pour se préparer et réagir une fois la maladie propagée dans la population humaine. Elles n’intégraient pas la détection en amont pour éviter émergence et contagion. Cela a conduit à l'échec de l'endiguement de la Covid-19 ou à l’épidémie d'Ebola (2014-2016) en Afrique de l'Ouest[4].
Nous savons que les grands facteurs d’émergence sont liés aux incursions humaines dans les espaces naturels. Outre leurs impacts sur la biodiversité, le changement climatique, et les équilibres des écosystèmes, les activités humaines jouent un rôle dans le cycle d'émergence des zoonoses en augmentant la probabilité de contacts entre l'homme et la faune sauvage ou les animaux domestiques d'élevage. Une prévention efficace des pandémies passe donc par une approche intégrée des santés environnementale, animale et humaine, dite « Une Seule santé ».
La préparation ne peut plus se priver de stratégies de prévention et de réponse rapide, innovantes et plus efficaces. Il est donc vital d'investir[5] pour donner à ces stratégies tous les moyens de réussite. C’est d’autant plus crucial que les émergences de maladies zoonotiques à potentiel pandémique augmentent en nombre et en fréquence depuis plus de 30 ans et que leur récurrence semble inéluctable.
Il est donc nécessaire, vital et urgent de financer ces stratégies de prévention des risques. Elles sont les garantes :
- D’une détection précoce des signaux d’émergence avec réponse rapide, par la surveillance et la prévention communautaire. Les acteurs en première ligne de risques sont ainsi engagés et outillés. Cette approche proactive facilite des interventions rapides et réduit le risque d'épidémies incontrôlables ;
- D’une protection de la santé publique : les mesures de prévention dans une approche “Une Seule Santé” se concentrent sur la lutte contre les risques de maladies à l'interface homme-animal-environnement ;
- D’une protection de la santé animale, qui ne doit pas être dissociée de la santé humaine. Les animaux peuvent être réservoirs et/ou vecteurs de transmission de maladies. La prévention permet d'identifier et de traiter les risques, empêchant les retombées sur les populations humaines ou leurs conséquences économiques, comme en matière d’élevage ;
- De la préservation de l'environnement, de la biodiversité et d’une lutte efficace contre le changement climatique : en investissant dans des mesures de prévention qui favorisent la conservation de l'environnement et des pratiques durables, nous réduisons les facteurs d’apparition et de propagation des maladies (consommation de viande de brousse, déforestation, destruction des habitats naturels, déplacement des populations d’animaux sauvages, pollution…), qui sont aussi facteurs de dérèglement climatique ;
- De la sécurité sanitaire mondiale. L’approche “Une Seule Santé” améliore la collaboration et la coordination entre les acteurs de la santé humaine et animale et de l’environnement. Elle maximise l’impact des actions et l’utilisation des ressources. C’est un fondement de la sécurité sanitaire mondiale ;
Le succès des stratégies de prévention se traduit par la réduction, voire l’absence d'événements indésirables, ce qui a longtemps rendu difficile l'évaluation concrète de leur efficacité. C’est le paradoxe de la prévention. Les financements sont insuffisants et leurs mécanismes inadaptés à une approche holistique. Le fonctionnement institutionnel en silos et la fragmentation des financements avec des fonds alloués à un seul objet ne favorisent pas une approche coordonnée.
Les investissements dans la prévention sont également porteurs de nombreux co-bénéfices qui profitent directement aux acteurs sectoriels des pays qui y consentent, qu’il s’agisse de production et de productivité animale, de sécurité sanitaire des aliments, d'accès aux marchés, de nutrition. Ces investissements contribuent également aux agendas de notre époque que sont la préservation de la biodiversité, la lutte contre le changement climatique, par exemple.
C'est pourquoi nous, signataires de cette lettre ouverte, demandons que :
- Les priorités de financement intègrent de manière significatives les principes de l'approche "Une Seule Santé" au-delà des maladies infectieuses chez les humains ;
- Les gouvernements et les donateurs fassent plus et mieux que reconnaître l’importance de la prévention : ils doivent la mettre en œuvre dans leur agenda politique et lui donner une place significative dans l’accord sur les pandémies en cours de négociation ;
- la création d’instruments financiers qui soutiennent les actions conjointes de prévention des zoonoses et de lutte contre le réchauffement climatique ;
- Ces instruments financiers doivent s’inscrire en cohérence et dans le cadre des Objectifs pour le Développement Durable ;
- Les gouvernements et les donateurs allouent des financements conséquents à la prévention. Des méthodes et indicateurs concrets permettent aujourd’hui de mesurer l’impact des actions préventives en santé ;
- Les donateurs mettent réellement en place des mécanismes de financement intersectoriels adaptés à la mise en œuvre de l'approche "Une Seule Santé” ;
- Les modalités de financements sont rendues souples et agiles pour soutenir des projets intersectoriels adaptés aux contextes nationaux et locaux et identifiés par une démarche de co-construction en lien avec les besoins et contraintes des acteurs locaux, à l’image du Fonds de lutte contre les pandémies récemment lancé ;
Si nous voulons nous donner une chance de prévenir la prochaine pandémie, et limiter ses conséquences délétères sur les plans humains, économiques et sociaux, les fonds alloués à la prévention des maladies doivent être décuplés et répondre aux besoins du terrain ; avec pour objectifs: une meilleure coordination entre les bailleurs internationaux, une flexibilité accrue dans les modalités de financement et une prise de conscience des avantages de la prévention des risques de maladies.
Le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui se tient les 22 et 23 juin pour étudier des solutions de financement et faire converger plusieurs agendas doit impérativement se saisir du sujet.
Exergue possible
En investissant des ressources dans la prévention, nous réduirons de manière proactive non seulement les risques associés aux maladies émergentes mais aussi ceux en lien avec le changement climatique.
[1] (rapport hebdomadaire de l'OMS).
[2] FMI, 2022
[3] (IPBES, 2020). (WB, 2022
[4] (Leach et al., 2021)
[5] (Peyre et al., 2021)