Emmené par l’initiative PREZODE, un collectif de scientifiques et personnalités a signé une tribune publiée par Le Monde le 1er mars 2023, en marge du One Forest Summit qui se tenait à Libreville (Gabon). Ce texte rappelle que les activités humaines, parmi lesquelles la déforestation, augmentent le risque d’infection à des maladies émergentes qui se transmettent de l’animal à l’homme. Il appelle à prévenir les prochaines pandémies par une gestion innovante des forêts tropicales.
Aujourd'hui, la COVID-19 a quasiment disparu de nos radars médiatiques. La pandémie n’est pas finie pour autant, le virus à son origine s’étant installé dans notre quotidien. Mais le souvenir de cet épisode qui a engendré des souffrances colossales, des pertes de vies humaines et des dommages économiques est encore à vif pour beaucoup. Avant qu'on ne l'oublie, il faut réorienter les politiques et les ressources pour prévenir les nouvelles pandémies, dont le risque ne cesse de croître.
La COVID-19 a été un choc mondial et a surpris beaucoup d’entre nous. Pourtant, ce type de pandémie était prévisible. Les noms d’Ebola, de Zika, de Chikungunya, de grippe aviaire, de Nipah ou de coronavirus sont devenus familiers. Avant la COVID-19, il y avait déjà trois fois plus de foyers de maladies infectieuses notifiés que dans les années 80. Si l’on ajoute à ce constat une connectivité mondiale, elle aussi en pleine expansion, tous les facteurs sont présents pour favoriser l’apparition de nouvelles pandémies dans les prochaines années.
Nous devrions être mieux préparés pour faire face aux prochaines émergences à condition de rester sur nos gardes. L’expérience acquise sur les différentes réponses (mesures de contrôle, confinement, procédures accélérées de développement de vaccins, de thérapies, communication sur le risque, modélisation et aide à la décision, etc.) a une valeur inestimable.
Des centaines de milliers de virus non identifiés
Combinée à des outils de santé publique déployés plus rapidement, cette stratégie devrait permettre de mieux répondre à ces futures crises. Toutefois, la réponse lente et confuse à la récente propagation du mpox (le nouveau nom du "monkeypox") n'est pas de bon augure. Les risques d’une pandémie demeurent élevés et c’est entre les crises que nous devons apprendre à mieux prévenir de futures pandémies.
Il est possible de se préparer contre des menaces précises, mais l’enjeu est tout autre face aux adversaires inconnus qui sont très nombreux. Plusieurs centaines de milliers de virus encore non identifiés pourraient toucher l’homme demain. Il est donc crucial de combiner une "approche de préparation” avec une "approche de prévention” qui serait ciblée, non pas sur chaque agent pathogène à potentiel pandémique, mais sur les facteurs à l’origine de leurs émergences.
Pour prévenir ces émergences, il faut donc d'abord comprendre les caractéristiques de ces agents pathogènes émergents ainsi que les facteurs qui y sont associés. Et les chiffres sont sans appel : 75% des maladies émergentes sont des zoonoses, c'est-à-dire des maladies dues à des virus, bactéries ou parasites qui se transmettent de l’animal à l’homme. La maladie à virus Ebola, la maladie de Lyme, les grippes pandémiques ou encore le SIDA : toutes ces maladies ont en commun des agents pathogènes d’origine animale.
Les activités humaines, et en particulier la déforestation, ont un impact considérable sur les réseaux de transmission d'agents pathogènes entre les espèces animales, augmentant le risque d'infection de la faune sauvage et des animaux domestiques. Aujourd’hui, plus des trois quarts des forêts du monde ont été défrichées ou fortement dégradées, ce qui entraîne une plus grande circulation de ces agents pathogènes et augmente le risque d'infection chez les animaux sauvages.
Les animaux victimes collatérales
En effet, la déforestation augmente mécaniquement les contacts entre les populations humaines et animales, multipliant ainsi les facteurs d'émergence et l’apparition de nouvelles zoonoses au sein des populations humaines. Les animaux ne sont pas responsables de l’émergence de ces maladies infectieuses, ils en sont d’ailleurs souvent des victimes collatérales.
Gérer de façon durable les écosystèmes, en particulier les forêts tropicales, n’est pas seulement un défi pour la biodiversité ou le changement climatique : c’est aussi agir pour protéger notre santé et prévenir les prochaines pandémies. Il est important de souligner que le coût de l'investissement sur ces stratégies de prévention "primaire" (parce que s'attaquant aux facteurs les plus en amonts de ces émergences) ne représenterait que 1% du poids économique des conséquences d’une pandémie telle celle de la COVID-19.
C'est pourquoi nous, signataires de cette lettre ouverte, demandons que :
- Les gouvernements et les donateurs élargissent leur coopération pour soutenir la conservation et la gestion durable des forêts. Ces solutions doivent s'appuyer sur des communautés locales, pour assurer leur cohérence, leur efficacité et leur durabilité.
- L'évaluation des décisions concernant les impacts des activités humaines sur les forêts tiennent compte des services rendus par ces écosystèmes, y compris la prévention de l'émergence de maladies zoonotiques.
- Le rôle essentiel que jouent les communautés locales dans la protection des forêts et d'autres écosystèmes soit reconnu et soutenu.
- De nouveaux partenariats soutiennent et récompensent la conservation des forêts tropicales avec des transferts financiers accrus vers les pays hôte de ces forêts. Les partenariats de conservation positive (PCPs) soutenus dans le cadre de la Coalition de Haute Ambition pour la Nature et les Hommes, co-présidée par la France et le Costa Rica, en accord avec les objectifs de conservation du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal devraient considérer les co-bénéfices la conservation pour la santé publique, dans l’esprit d’une seule santé
En prenant ces mesures pour comprendre l'importance de protéger et de gérer la nature, nous pouvons contribuer à réduire le risque de futures pandémies.
Liste des signataires :
- Franck Berthe, expert senior élevage au sein de la Banque mondiale et coordinateur de l'Alliance mondiale pour l'élevage
- Serge Breysse, Directeur général de Solthis, France
- Salome Bukachi, Anthropologiste, Kenya
- Andrea Chaves, Professeure à l'université du Costa Rica, Costa Rica
- Christine Citti, Directrice de recherche à l'institut national de recherche en agronomie et evinronnement (INRAe), secrétariat de l'initiative PREZODE, France
- Elisabeth Claverie de Saint Martin, Présidente directrice général du centre international de recherche en agronomie pour le développement (CIRAD), France
- Sonila Cook, Présidente directrice générale, Dalberg catalyst, USA
- Magda Robalo Correia Silva, Présidente de l’institut de santé globale et développement, ancienne ministre de la Santé de Guinée Bissau, Guinée Bissau
- Pham Duc Phuc, coordinateur Une Seule santé à l'université de Hanoi, Vietnam
- Jane Goodall, Fondatrice - the Jane Goodall Institute & Messager de la paix de l'ONU, Angleterre
- Runa Khan, Directrice et fondatrice de l'ONG Friendship, lauréate du prix Rolex, Bangladesh
- Samuel Le Bihan, acteur, France
- Thierry Lefrançois, Directeur du département BIOS au centre international de recherche en agronomie pour le développement (CIRAD), secrétariat de l'initiative PREZODE, France
- Gael Mangaga, Directeur de recherche au Centre international de recherche médical de Franceville, Gabon
- Wanda Markotter, Centre pour les zoonoses virales, Université de Pretoria, Afrique du Sud
- Yves Martin-Prevel, Directeur du département santé et sociétés de l’institut de recherche pour le développement (IRD), France
- Philippe Mauguin, Président directeur général de l'institut national de recherche en agronomie et environnement (INRAe), France
- Thomas C. Mettenleiter, President Friedrich-Loeffler-Institut, Allemagne
- Benoit Miribel, Secrétaire général de la fondation une santé durable pour tous, France
- Serge Morand, Directeur de recherche au CNRS, France
- Marisa Peyre, Directrice adjointe unité santé globale du centre international de recherche en agronomie pour le développement (CIRAD), secrétariat de l'initiative PREZODE, France
- Richard Powers, écrivain, lauréat du prix Pulitzer 2019 pour L'Arbre-monde (The Overstory), professeur émérite de l'Université de l'Illinois, Etats-Unis
- Benjamin Roche, directeur de recherche “une seule santé” à l'institut de recherche pour le développement (IRD), secrétariat de l'initiative PREZODE, France
- Wes Sechrest, Président directeur général de l'ONG Re: wild, USA
- Nigel Sizer, Directeur exécutif, Preventing Pandemics at the Source, USA
- Jean-François Soussana, vice-président de l'institut national de recherche en agronomie et environnement (INRAE), secrétariat de l'initiative PREZODE, France
- Gerardo Suzan, Université nationale autonome du Mexique, Mexico City, Mexique
- Valerie Verdier, présidente directrice général de l'institut de recherche pour le développement (IRD), France
- Neil Vora, Prevention fellow Conservation International, USA.
Tribune à lire sur la page de LeMonde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/01/une-gestion-innovante-des-forets-tropicales-est-necessaire-pour-mieux-prevenir-les-prochaines-pandemies_6163734_3232.html#xtor=AL-32280270-%5Bwhatsapp%5D-%5Bios%5D